J’arrive dans un atelier plutôt silencieux, j’apprendrai plus tard qu’une bonne partie des équipes est en chantier d’agencement ce jour là. Nous traversons le bureau où se fait la conception des meubles et des agencements à partir des croquis ou des spécifications fournies par les clients.
Le réfectoire dans lequel se poursuit l’entretien jouxte une cuisine dans laquelle Pierre est à l’oeuvre. Cuisinier de formation, en reconversion professionnelle vers les métiers de la menuiserie, il rejoindra l’atelier cet après-midi pour donner un coup de main et parfaire sa formation.
A la Fabrique, on discute à table ! Le planning se fait en équipe dans cette même salle le lundi matin. Sur les murs sont accrochés les 3 semaines d’organisation à venir et le projet en cours d’organisation et d’annualisation du temps de travail. Le collectif est à l’oeuvre dans sa salle à manger.
La Fabrique se divise aujourd’hui en 3 entités :
- La Fabrique Projets est l’activité historique. Elle conçoit et réalise des meubles et de l’agencement.
- La Fabrique Multiples réalise des séries d’objets. En ce moment, ils viennent de réaliser les “ideas box”, une médiathèque transportable et déployable à destination des réfugiés pour l’organisation Bibliothèque Sans Frontière.
- La Fabrique d’En Face propose des ateliers à destination des entreprises et des amateurs de menuiserie. Elle offre également une surface d’atelier associée à un espace de coworking pour des designers ou des petites entreprises qui en formuleraient le besoin (la maison d’édition la Boutique Emmaüs, un scénographe occupent actuellement les lieux).
Une entreprise intégrante
La Fabrique a créé, il y a presque 2 ans, 3 poste d’insertion sans conventionnement public.
“Nous sommes fabricants, pas éducateurs” m’explique Fabrice. L’intégration de personnes en insertion entre en accord avec la logique de rentabilité de la structure. “On pourrait imaginer d’accueillir une personne sans l’introduction d’une structure d’accompagnement, mais jusqu’ici ils nous ont été présentés par nos partenaires tels Artibois, la MIRLI/AJD, Notre-Dame des Sans-Abris,…
Mais nous serions alors privés d’un appui de ces structures pour l’accompagnement social de ces personnes lorsque le besoin se fait sentir.” Le dispositif se compose d’un 1 poste tournant plutôt en observation et en découverte, de courte durée (1 à 3 semaines) et de 2 postes en CDI.
Tu vois la commande numérique qu’on a ici, on l’a depuis un an et demi. Elle génère un travail peu qualifié d’ébarbage et de ponçage. Je pense que son utilisation permet de mettre le pied à l’étrier sur le travail du bois.
À moyen terme, Fabrice évoque la possibilité de créer un poste supplémentaire avec le développement de la Fabrique Multiple. Un processus de fabrication rationalisé et suffisamment “répétitif” permet de favoriser les apprentissages. La qualité de l’organisation et la lisibilité de l’atelier constituent également un facteur déterminant dans la qualité d’accueil et d’intégration du personnel.
Quand on accueille une personne en insertion, la première chose qu’on fait, c’est de lui demander de nous dire ce qu’il faudrait faire pour que ça se passe bien.
En amont du stage ou de la période de travail, on procède à un entretien. Si l’équipe d’encadrement sent que ça peut marcher, on propose à la personne de venir avant le démarrage rencontrer l’ébéniste qui sera son référent. Dès le lundi suivant, son premier jour de travail, elle est dans le bain avec les autres employés de la fabrique. Des points réguliers sont effectués avec elle, mais elle ne bénéficie pas d’un traitement autrement spécifique. On cherche à ce que sa position ne soit pas stigmatisée. Son poste existe au même titre qu’un autre à un niveau de qualification adapté.
A la fin de l’expérience, La Fabrique lui délivre une attestation de travail pour faire valoir son passage dans l’entreprise pour la suite de son parcours. Quand c’est possible, la personne peut être intégrée sur un contrat à durée indéterminée.
Une Fabrique d’En Face
On s’est rendu compte qu’on était de plus en plus sollicités pour accompagner des projets dans l’atelier. Pour répondre à cette demande, on a créé la Fabrique d’En Face.
La Fabrique d’En Face, c’est un atelier partagé couplé à un espace de coworking. Le lieu héberge aujourd’hui un scénographe et la maison d’édition solidaire L’Atelier d’Emmaüs. Cet espace permet de mettre en relation une pratique amateur et les menuisiers de la Fabrique.
La Fabrique d’En Face dispose d’une offre propre à destination des entreprises et des particuliers suivant trois axes de développement :
- atelier grand public.
- team building.
- workshop pour les écoles.
Les formats d’animation sont proposés sous forme de produits dont les conditions de montage sont adaptées à l’animation proposée (nombre de personnes au montage, occupation à fournir pour chacun des utilisateurs, gestion du parc outils disponible …).
On peut ainsi “acheter” un tabouret et le construire soit-même en atelier “Do It Yourself” ou encore participer à la fabrication de la table de réunion de l’entreprise entre collègues.
La machine-outil à commande numérique (CNC) joue encore une fois un rôle important dans ce processus, parce qu’elle permet de rationaliser le montage et de donner au participant l’occasion de mettre la main à la pâte, quand bien même il n’aurait aucun savoir-faire en menuiserie.
Valoriser les ressources
En 2018, arrivent les lois de Responsabilité écologique du producteur qui engagent les fabricants comme nous de se préoccuper du devenir de notre production. On se préoccupe du mobilier d’exposition notamment. C’est un gros volume qui part à la benne en fin de course. On voit notamment que beaucoup de structures d’insertion par l’activité économique (SIAE) se mobilisent sur les appels d’offre portés par Eco-mobilier et Valdélia sur les problématiques de collecte et de retraitement. Elles montent des projets de développement pour jongler avec les dispositifs de financement pour se maintenir, ce qui implique une difficulté de lecture du métier, et de lisibilité de la marque.
Il y a une question d’ensemble à se poser sur l’économie des structures d’insertion par l’activité économique pour les rendre viables.
Nous évoquons ensemble l’hypothèse d’un “brico-dépôt du ré-emploi”, couplé à un atelier ouvert. Pour lui, le fait de déconstruire des meubles pour en faire des composants un temps soit peu homogènes semble un axe intéressant. Il y a cependant nécessité de bien identifier le(s) gisement(s) pour créer un semblant de continuité dans l’offre.
On pourrait imaginer dans l’esprit de la Fabrique d’En Face d’utiliser les compétences de créateurs tiers qui viendraient créer un modèle de mobilier basé sur le réemploi pour le compte du Grenier et animer de la formation vers un public extérieur.
De son coté, la Fabrique a mis en place une boite à donner où les particuliers et les associations peuvent venir se servir une fois par semaine. C’est maintenant en libre service. Cela permet de valoriser les chutes de l’atelier (de panneaux principalement). “L’Atelier Emmaüs, que nous hébergeons, récupère et valorise également une partie de ces chutes ” m’explique Fabrice. Bien que ces initiatives absorbent peu de volume, elles permettent de donner une autre valeur au ré-emploi — notamment dans l’association du mode de fabrication à un mode d’apprentissage.
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