Baptiste nous parle d’une expérience de 6 ans avec Open Sources, association de sensibilisation du public à la pratique du réemploi des matériaux.
Durant cette période, il a cherché à mettre en application et à développer son concept de Re-fonctionalisation des objets industriels. Aujourd’hui chercheur, doctorant rattaché au laboratoire de science des matériaux et des structures, l’un des 5 centres de recherche de l’École des Mines de Saint-Étienne, il enseigne l’écoconception.
Sa pratique s’inspire de l’écologie industrielle mais s’applique au secteur du design. En rapprochant les systèmes industriels des écosystèmes vivants, l’écologie industrielle étudie le métabolisme territorial pour inscrire le développement de produits dans des logiques de relocalisation, de couplages d’activités, ou de bouclage des flux de matières…
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Avec Open Sources, Baptiste a travaillé à partir du premier barreau d’une échelle de valeur à 5 paliers (hiérarchie de traitement des déchets). Sensibilisation, réemploi, réutilisation, recyclage, incinération/enfouissement, sont classés par ordre de priorité, du plus durable au plus polluant (de la prévention au traitement). Le design symbiotique a pour but de distiller la conception sur toutes les étapes du cycle de vie du produit. Ainsi la conception n’intervient pas uniquement « en amont » lors de la réalisation d’un produit neuf, mais à chaque fois que l’objet perd sa valeur d’usage. Le but est d’envisager des bouclages de flux, qui ont vocation à réintroduire les objets et les matériaux en fin de vie dans le système productif, tout en limitant la dégradation des formes à chaque étape.

Il propose d’opérer le tri par fonctions en alternative au tri par matériaux. Ce tri, basé sur la conservation des propriétés formelles et physiques des objets manufacturés, est une première étape vers une re-fonctionnalisation — ou réutilisation des produits. Une pratique qui consiste à utiliser l’objet pour un autre usage que celui initialement prévu. Autrement dit, il s’agit de différer la transformation de la matière (retarder l’arrivée du recyclage ou la destruction) pour augmenter la durée de vie du produit et donc la productivité des matériaux.
Baptiste m’explique qu’il cherche à “concevoir la ville comme une forme de Lego dont les composants sont ré-employables d’une phase à une autre. La ville comme gisement permanent”. Nous évoquons ensemble à titre d’exemple le travail de Rotor à Bruxelles sur la déconstruction et le réemploi de matériaux de chantier. Nous parlons également de Bellastock dont l’étude pour le compte de Plaine Commune (structure intercommunale du département de Seine-St-Denis), actuellement en cours, vise à mettre au point et à expérimenter un fonctionnement circulaire dans le secteur de l’aménagement et de la construction.
Requalifier le réemploi
Baptiste m’explique que les activités du réemploi ou de la réutilisation requièrent des savoir-faire diversifiés et spécifiques. Pour réparer ou réutiliser un objet, il va falloir s’adapter. Il faut pour cela être un bon artisan. La restauration requiert souvent plus de savoir-faire techniques que la création. On peut le vérifier par exemple dans la lutherie où la restauration permet aux instruments de traverser les siècles tout en préservant leur jouabilité et leurs qualités sonores : seuls les praticiens les plus doués et expérimentés sont amenés à restaurer les instruments de grande valeur. Trouver des solutions génériques de réutilisation, requiert des compétence transversales et feront évoluer les professions de designers, d’architectes ou d’ingénieurs. ils seront amenés à concevoir un produit en fonction d’un gisement de matériaux de seconde vie et d’un mode de production pertinent. Il sera nécessaire en amont de faire appel aux compétences d’un valoriste qui pourra déterminer la valeur productive d’une pièce et identifier les potentiels d’un gisement (qualité, quantité, saisonnalité, …).
L’association Open Sources a, dans ses premières années d’expérience, partagé son espace de travail avec l’Atelier-Chantier d’Insertion du Parc de Montaud à Saint-Étienne. Baptiste a également suivi le mouvement des Ressourceries de très près. Il existe selon lui une situation paradoxale de la filière du réemploi : structurée autour de l’insertion par l’activité économique, la filière s’appuierait sur des salariés avec un faible niveau de compétences là où des compétences élevées semblent également nécessaires. Les structures mobilisées dans le cadre de l’insertion par l’activité économique font un immense travail au sein du réseau des Ressourceries. Mais elles peinent à capitaliser sur leurs acquis parce que le turn-over y est institutionnalisé : on ne peut pas garder quelqu’un plus de deux ans en contrat à durée déterminée d’insertion (CDDI), il n’existe pas a fortiori de formation qualifiante pour les métiers du réemploi, une option défendue par le réseau des Ressourceries.
C’est pourtant une certitude, il y aura dans les années à venir de nombreux savoir-faire à développer dans le secteur de la déconstruction, de la réparation ou du réemploi. Les structures de l’insertion par l’activité économique (SIAE) occupent aujourd’hui un secteur de niche amené à se développer. Elles sont en première loge sur un gisement de matières qui risque de devenir fortement concurrentiel dans les années à venir. Le besoin de formation, de main d’oeuvre et d’innovation est énorme pour répondre à l’évolution de la réglementation et aux défis que posent la gestion des déchets. L’objectif est de parvenir à ralentir la vitesse de circulation des flux dans le système — c’est-à-dire augmenter la durée d’usage et retarder l’arrivée au stade de déchet — , or, plus une logique de valorisation est « lente et complexe » plus elle demande de faire intervenir le facteur humain (diagnostic, déconstruction, tri, valorisation).
Che fare ?
Il y a un gros point d’interrogation sur la structuration de la filière du réemploi d’une façon générale et le triptyque collecte-tri-stockage en particulier. D’après Baptiste, les membres des Ressourceries, considèrent généralement l’espace de stockage comme une contrainte, souvent un problème. Il n’y a jamais assez de surface pour traiter le flux ou alors trop de volume.
Par convention, ils sont tenus d’accepter tout ce qui leur est livré. On peut regretter de ne pas avoir plus de souplesse dans ce principe, mais un stock, ce n’est pas qu’un problème d’entrée, c’est aussi un problème de sortie :
– Identifier le stock pour pouvoir fournir à la demande (maîtrise logistique et tactique) ;
– Mettre en adéquation, le volume, la qualité et la saisonnalité de production des déchets avec les attentes du marché.
Créer la demande ? Augmenter les surfaces de vente ? Il n’y a qu’un pas à imaginer le Brico Dépôt du matériaux de réemploi. Une surface où se trouvent directement triés les objets suivant le principe de déconstruction fonctionnelle et où on peut acheter un pied de table, une longueur de vieux chêne en provenance d’une armoire de style Henry II,… À ce scénario, Baptiste émet une mise en garde :
C’est important que cela reste accessible et que ce ne soit pas inscrit dans un une logique purement marchande, car de nombreux flux seraient délaissés au profit de ceux qui rapportent le plus. Il est aussi important que cela reste à une échelle locale pour réduire l’empreinte liée au transport, sinon cela pourrait engendrer l’inverse de ce que c’est censé faire. Regarde ce qu’il s’est passé avec la marchandisation des Fablabs et l’émergence des Techshop. On voit bien qu’il y a deux logiques antagonistes : une qui propose un modèle open source afin de donner à tous, les outils de son émancipation, et l’autre, qui a vidé de sa substance l’idée d’origine afin de bâtir un modèle commercial cloisonné…
Dans cette dynamique, ouvrir l’atelier a minima parait être une évidence : “c’est efficace pour sensibiliser le plus grand nombre aux enjeux du réemploi.”
Gageons que les développements futurs du Grenier sauront s’inscrire dans une démarche globale d’écoconception. Fort d’un savoir-faire et d’un positionnement encore singulier, il ferait office de plate-forme de production et de formation à ces pratiques pour des professionnels et des particuliers qui en expriment aujourd’hui le besoin.
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